La polarisation des formes

La polarisation des formes
La polarisation des formes

On peut s'interroger à la lueur des principes jusqu'ici présentés si la réalité n'obéit pas à un déterminisme purement essentialiste. Cela demande donc des précisions, car c'est à la fois juste et incorrect. Pour simplifier les choses, prenons trois cas que nous représenterons par des schémas simplistes.

L'essentialisme est le fait d'accorder aux choses un principe formant immuable : l'essence. Ce terme a bien été employé précédemment mais il convient de le comprendre dans le contexte auquel il appartient. Si l'on considère les objets formés comme immuables, contraints par leurs essences, nous nous retrouvons avec une schématisation du principe d'objets semblable à celle-ci :

En revanche, si l'on refuse toute idée d'essence, admettant une fluidité parfaite entre les éléments, le schéma précédent ressemble désormais à ceci :

Anomie des formes

Ces deux premières approches sont fausses car elles contredisent toutes deux le principe d'observation. La première contredit le principe d'observation car elle sous-entend une absence de points communs entre les objets, une absence de nature commune, elle s'exclut donc elle-même de l'observation de l'existant et s'auto-détruit par le fait même. La deuxième est toute aussi erronée, car sa représentation du réel empêche la possibilité d'une observation. En effet, si toute chose est sans essence, alors l'observation elle-même ne prendrait pas de forme particulière et serait interchangeable avec toute autre chose. Cela reviendrait à identifier quelque chose qui ne peut l'être (anomie totale).

De plus, l'univers présente d'innombrables limites qui supportent d'être définies, même si cela demeure approximatif, comme nous l’avons vu. La science a d'ailleurs pour raison d'être originelle d'étudier ces limites. Cette seconde solution n'est donc pas recevable.

Une manière amusante de considérer l'existence de principes intrinsèques à la nature est d'observer comment se comportent entre elles des bulles de savons, notamment lorsqu'elles éclatent. Plutôt que de ne former qu'un amas anarchique, ces bulles prennent spontanément des dispositions d'équilibre chaque fois renouvelé.

La solution la plus cohérente est donc la suivante : la polarisation de la réalité vers des essences non absolument isolées, admettant des points communs et des points non communs. Ce qui permet au réel de prendre différentes formes, et non de n'être qu'un chaos inobservé, tout en autorisant ces formes à interagir entre elles, grâce à leurs dénominateurs communs (qui est au minimum notre propre expérience). Comme l'homme et la femme, différents par nature et montrant des particularismes, n'en ont pas moins de grandes similarités, ne serait-ce que morphologiques, et sont plus proches entre eux qu'ils ne le sont d'une primevère. Le schéma précédent, renouvelé, devient alors :

Polarisation des formes

Si les essences ne sont pas d'infranchissables barrières comme le suggère la représentation précédente, on peut légitimement se demander s'il est possible de passer de l'une à l'autre. Cette question est très importante d'un point de vue scientifique, car elle touche tous les domaines. L'un des plus importants étant certainement celui de la biologie et de la théorie de l'évolution. En tout état de cause, il semble envisageable de changer d'essence, mais cela demande au préalable de perdre tout ce qui n'est pas commun entre l'essence d'origine et l'essence acquise. En cela, il semble qu'une forme de mort et de renaissance soit nécessaire. C'est aussi un phénomène que l'on observe dans le cas des hybridations, où une descendance possède certaines des caractéristiques de ses deux branches ascendantes sans pour autant se confondre avec celles-là.

Bien que les schémas précédents permettent de mieux comprendre la structure de la réalité, ils ne parviennent pas à la représenter fidèlement. En fait, aucun moyen d'expression humain ne le peut, tant celle-ci possède des caractéristiques élaborées. Sans doute la définition par le langage ou les mathématiques sont-elles parmi les plus satisfaisantes.

En effet, si chaque objet réel est la manifestation d'une essence sous-jacente, ne commettons pas l'erreur de considérer cette dernière comme un atome autonome et entier. Toutes les essences sont des compositions d'autres supra-essences dont l'Essence primordiale (le principe essentiel) est à la fois le début et la fin. Dans mon article sur la dualité primordiale, je parlais de montagnes, mais je n’ai pas parlé de roches, ni de terre, ni d’eau, ni de paysage, ni de ciel, ni de nature, ni de géométrie, ni de tectonique. En fait, la plupart de nos expressions courantes consistent à simplifier les définitions pour mieux communiquer, mais cela ne peut se faire qu'au prix d'un sacrifice de sens dans toute sa plénitude (ce que j’évoquais dans mon article sur le langage).

Ces essences, qui peuvent donc participer à toutes sortes de formes, sont à considérer comme des fonctions fractales que l'on peut identifier en maintes expressions. Ces dernières apparaissent d'ailleurs comme des cristallisations de principes, c'est-à-dire de fonctions (au sens mathématique), de fractals, qui produisent une manifestation contextuelle.

On retrouve cette organisation en poupées gigognes à x dimensions en phylogénétique, c'est-à-dire la classification des êtres vivants en différentes clades ayant toutes des caractéristiques qui leur sont propres mais partageant aussi des éléments communs avec d'autres groupes. Les réorganisations permanentes de cette classification suppose d'ailleurs possiblement que sa présentation usuellement strictement concentrique (un groupe plus restreint est considéré comme entièrement contenu dans un groupe plus large) est insuffisante pour rendre compte de la réalité. On pourrait ainsi songer à l’intégrer dans une méthodologie tenant compte des principes sous-jacents du vivant, dont certains sont décelables dans les informations génétiques et que l’on retrouve disséminés dans la nature dans un grand nombre de clades apparemment éloignées (le principes des ailes qui est par exemple présent chez les chauve-souris, les oiseaux, les insectes, les poissons et certains dinosaures).

La véritable structure de la réalité est donc la combinaison multidimensionnelle de principes non directement observables, plus ou moins imbriqués les uns dans les autres et qui produisent à l'endroit de leurs points de rencontre des manifestations observables. Cette définition peut être résumée en termes d'essences (principe essentiel), de matrices (principe matriciel) et de formes (manifestations conjointes des deux principes précédents).

Ainsi, deux formes observées comme différentes peuvent éventuellement avoir en commun certaines de leurs essences sous-jacentes. Celles-ci, lorsqu'elles sont identifiées, permettent d'établir des correspondances, parfois fonctionnelles, comme dans certaines branches de la médecine. L'écueil en la matière sera de ne pas se fourvoyer en observant des correspondances partout, et notamment là où il n'y en aurait pas, ce qui serait l'approche inversée du fait de tout penser de façon isolée sans observer aucune correspondance entre les formes.