Attrait et rejet : les impulsions primaires

Attrait et rejet
Attrait et rejet

Dans mon article précédent, j’abordais les trois formes d’impression de l’être, à savoir la plénitude, la souffrance et l’indifférence. Ces impressions constituent la dimension sensible de l’existence.

Dans ce nouvel article, je vais discuter des deux formes d’impulsion de l’être, à savoir l’attrait et le rejet, l’indifférence ne générant bien sûr aucune impulsion.

Ces deux formes d’impulsion, d’élan, sont la résultante de deux éléments :

  • des impressions positives ou négatives (plénitudes ou souffrances)

  • l’interprétation que nous faisons de notre propre influence sur le monde

Si les notions d’interprétation et d’influence vous semble ambiguës, vous pouvez vous reporter à l’article que j’ai rédigé sur l’expérience de la réalité.

L’attrait et le rejet s’enracinent en fait dans un potentiel que nous nous figurons. Je me trouve dans une situation donnée et je constate la possibilité d’une transaction qui pourrait m’être favorable. C’est un attrait. Je n’ai pas de certitude quant à l’issue de cette transaction mais je sens ou je pense qu’elle va m’être favorable et je développe donc une volonté qui devrait me permettre d’en profiter.

À savoir qu’une impulsion suffisamment développée au niveau de notre esprit devient une intention et qu’une intention peut à son tour devenir une véritable volonté lorsqu’elle prend de l’ampleur en nous.

L’attrait, c’est l’intention de faire exister quelque chose. Cela signifie que notre être tend à vouloir permettre et favoriser ce qui l’attire, ce qu’il désire. Attrait et désir sont-ils différents ? Pas tant, nous en faisons parfois une différence quand ce à quoi ils se rapportent diffèrent mais il s’agit de la même dynamique racine. Qu’en est-il de l’attachement ? C’est la même chose. C’est un élan de l’être vers quelque chose, rien d’autre. Qu’en est-il alors de l’amour ? Il est lui aussi un élan.

L’attrait est donc une volonté. Il est donc dynamique, c’est un élan de vie. Lorsque l’on dit aimer une personne, nous sommes généralement attirés par trois choses à la fois : ce qu’elle est, ce qu’elle pourrait être et la relation que nous avons ou pourrions avoir avec elle (la dimension matricielle de notre être étant exclusivement attirée par ce que nous pouvons obtenir d’une relation, tandis que la dimension essentielle concerne ce qu’est une personne, indépendamment du fait qu’on soit en relation avec ou non). Nous développons donc pour elle une envie de la voir continuer à être, une envie de la voir s’accomplir d’une certaine façon et une envie de partager une intimité avec elle.

Il arrive cependant que nous interprétions mal ce que nous observons d’une personne. Nous avons du désir pour elle mais nous nous apercevons qu’elle est différente de ce que nous pensions, nous avons du désir pour ce qu’elle pourrait être mais nous nous apercevons qu’elle ne peut pas devenir ce que nous espérions et enfin nous avons du désir d’être avec elle mais nous nous apercevons que la relation que cela génère n’est pas ce que nous escomptions.

La projection sur le monde extérieur d’interprétations erronées est intrinsèque à l’existence sensible et actrice du monde, comme je l’expliquais dans un article précédent. Elle n’est cependant pas une fatalité, car plus nous développons une lecture exacte du monde, moins nous tendons à nous égarer dans des erreurs de ce type.

Il arrive aussi que nous nous trompions sur ce que nous croyons désirer et aimer. Il n’est pas rare, par exemple, de penser aimer une personne alors qu’en réalité nous aimons ce qu’elle nous apporte ou nous aimons certaines de ses qualités seulement. Ainsi, la relation peut éventuellement être remplacée par une autre, qui serait plus adaptée. Ce n’est donc pas la personne que nous aimions, c’était autre chose : la fertilité de sa matrice ou la qualité de certaines de ses essences, par exemple.

Au bout du compte, la vraie question est la suivante : qu’aimons-nous sans condition ?

En effet, tout amour conditionné suppose en réalité de l’attrait, non pas pour l’objet en question, mais pour la condition de l’amour de cet objet. Lorsque l’on aime quelqu’un tant qu’il nous est fidèle, cela signifie que nous aimons la fidélité plus que cette personne, en quelque sorte. Bien sûr, la fidélité ne sera pas le seul objet d’amour, il y aura souvent aussi le désir physique, sensuel et sexuel, l’envie de passer du temps ensemble à profiter de la vie, un désir intellectuel, l’envie de participer aux mêmes projets, l’attrait pour le confort ou le pouvoir que l’autre peut apporter, etc. Bien que l’on remarque de nombreuses similitudes entre les êtres humains, la liste pourrait être en théorie infinie car la réalité est très diverse lorsque l’on s’amuse à la détailler.

Mais si la personne qui partage notre vie peut éventuellement développer des attitudes qui nous semblent suffisantes pour mettre fin à la relation, c’est que quelque chose en nous est plus important que cette personne, c’est que notre attrait le plus profond n’est pas pour cette personne en particulier mais pour autre chose.

Dans les faits, il est très rare qu’une personne en aime véritablement une autre mais cela peut arriver. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un exploit quelconque, simplement : nous avons tous à la fois des instincts (des projets et des appétits) semblables et différents. Notre dimension masculine pourrait par exemple reconnaître en elle-même la manifestation de l’essence de la personne (la combinaison essentielle particulière qu’est cette personne) comme prioritaire tandis que notre dimension féminine pourrait reconnaître en elle-même avoir de l’appétit pour une personne en particulier et personne d’autre. On imagine volontiers que ce type de cas de figure doit produire des amours très exclusifs !

En parallèle de cet élan d’attraction, il existe un élan de répulsion : le rejet. D’ailleurs, tout élan d’attrait possède son élan de rejet complémentaire inverse. Le rejet, c’est l’intention de ne pas faire exister quelque chose.

Si j’aime la vie, je rejette de la mort. Si j’aime une personne, je rejette sa disparition ou sa souffrance. Si j’aime la vérité, je rejette l’erreur, etc.

Nombre de disciplines métaphysiques ont essayé de bricoler des idées où l’on pourrait aimer la vie et la mort simultanément, mais cela se repose sur des principes non démontrés et des montages de pensée qui mélangent des concepts à leur avantage en éludant là aussi les causes premières.

En fait, il s’agit tout simplement en l’occurrence de l’attrait pour l’existence, avec ses espaces de vie et ses espaces de mort et il n’est pas bien compliqué d’éclaircir le propos en choisissant les bons mots. Attrait pour l’existence qui suppose lui aussi un rejet, celui de l’inexistence.

Il n’y a donc pas d’amour sans rejet et cela est peut-être bien tout aussi valable pour la dualité primordiale que pour nous autres humains. En effet, si celle-là produit un monde d’une certaine façon, c’est qu’elle le désirait de cette façon-là et donc qu’elle ne souhaitait pas qu’il en fut autrement, à moins qu’elle ne crée la totalité de tous les possibles et de leur contraires et en ce cas, il n’y a pas de préférence particulière pour une forme ou pour une autre. Car, n’oublions pas que, comme je l’ai expliqué dans un article précédent, tout évènement n’existe qu’à la condition de son inexistence. Cela signifie qu’à l’échelle de Dieu, il n’y a ni amour, ni rejet et aussi les deux à la fois, que la manifestation de l’existence d’une certaine façon n’est pas un désir particulier puisqu’en réalité, cela réclame son inexistence par ailleurs et de façon strictement équivalente. Et de fait, toutes les existences et les inexistences sont en Dieu.

Je précise également que le rejet n’implique pas la négation. Il est tout à fait possible de rejeter la maladie, c’est-à-dire avoir la volonté de la santé, sans nier le fait d’être soi-même en mauvaise santé. C’est même en fait un préalable, car il n’est possible d’ajuster ses volontés à la réalité que dans la mesure où nous sommes capables de l’observer telle qu’elle est. Nier la maladie procède d’une autre attitude, qui consiste à refuser de considérer son existence et donc s’exposer à ce qu’elle nous touche sans que nous soyons capables de nous en rendre compte. Ce refus est généralement la fuite d’une réalité que nous ne considérons pas comme avantageuse. Cependant, puisque nous sommes aussi part du monde, cette réalité peut nous rattraper et mettre à mal nos conformations mentales de négation.

Certaines doctrines religieuses, notamment bouddhistes, professent cette attitude à l’égard de la réalité, à savoir une imitation de Dieu dans son acception totale (non contextuelle), à des fins d’élévation spirituelle. Cela peut être un projet en soi mais il me semble important de prendre en compte trois choses :

  • devenir Dieu en dehors de tout contexte signifie mourir complètement à son humanité et donc disparaître de la surface de la Terre

  • vouloir ressembler à Dieu est un assez sûr moyen de ne pas y parvenir car cela suppose en soi un attrait, un désir spécifique, et donc un paradoxe entre l’objectif en tant que tel et le fait même d’avoir un objectif

  • se focaliser sur Dieu dans son acception non contextuelle est une manière de renier une partie de la nature de Dieu, qui existe aussi sous toutes les formes contextuelles possibles et imaginables, qu’elles fussent de notre réalité ou non

Pour en revenir à la peur quelques instants, je propose de comprendre celle-ci comme un rejet associé à une inquiétude qui prend pied en fait dans une incertitude quant à notre contrôle sur la réalité. Le rejet avec certitude est possible, comme lorsqu’une personne nous propose une gomme à mâcher et que nous la refusons. La gomme à mâcher ne nous fait pas peur, nous sommes simplement certains de ne pas la désirer et de vouloir au contraire la rejeter.

Avoir peur de quelque chose, c’est, plus ou moins consciemment, rejeter quelque chose vis-à-vis de laquelle nous ne sommes pas certains de ce qui peut advenir. Avoir peur des souris peut s’expliquer par le fait de ne pas parvenir à contrôler leurs mouvements parce qu’elles sont rapides et petites, de même que les araignées, qui possèdent du surcroît un aspect possiblement inquiétant dans notre esprit, pour tout un tas de raisons historiques et psychologiques.

La peur est une forme craintive de rejet, mais tous les rejets ne sont pas craintifs.

C’est d’ailleurs un sophisme régulièrement employé dans les discussions, notamment politiques. Les termes en -phobe le traduisent bien. On associe le rejet à la peur et donc ce même rejet, non pas à une conviction assurée, mais à une incertitude et donc une méconnaissance, suggérant par là que ce rejet, cette peur n’a finalement pas vraiment lieu d’être. S’associe à ce trucage dialectique un deuxième sophisme qui est d’affirmer qu’en connaissant mieux quelque chose, on cesse d’en avoir peur et donc de le rejeter, alors qu’il s’agit en réalité de deux choses différentes.

Que les choses soient clairs : ce n’est parce que nous rejetons quelque chose que nous en avons peur ou que nous la méconnaissons et ce n’est pas parce que nous avons peur de quelque chose qu’il ne s’agit pas là d’une bonne attitude pour notre survie. Et de fait, si l’humain n’avait jamais eu peur de quoi que ce soit, il aurait disparu depuis longtemps de la surface de la Terre.

Le fameux « Il ne faut pas avoir peur. » de Klaus Schwab lorsqu’il évoque le plan totalitaire de contrôle technocratique des populations, est par essence un sophisme. Car la peur n’est ni négative, ni positive, cela dépend simplement des contextes, comme toute notion d’ailleurs.

Pour comprendre ce qui se joue en nous en termes d’attrait et de rejet, d’amour et éventuellement de peur, il convient de se rappeler ce que j’écrivais dans mon article sur la réciprocité. Ce qui nous meut, et ce qui meut aussi tous les êtres de la création, c’est ce que l’on espère des transactions qui nous concernent.

Nous avons de l’attrait pour les transactions qui nous sont favorables et du rejet pour celles qui ne le sont pas, tout simplement. Ce qui rend les choses délicates provient de notre imparfaite connaissance du monde et induit donc des espaces d’incertitude. C’est le cas typique du joueur de casino qui espère gagner plus qu’il ne dépense alors même qu’il n’est pas certain de sa victoire. Ce sentiment d’incertitude est d’ailleurs une addiction en soi pour certaines personnes.

Lorsque certains coachs de développement personnel parle du fait de « sortir de sa zone de confort », c’est une proposition de parier sur le fait que la situation plus ou moins inconnue que nous allons trouver en sortant de notre coquille sera meilleure que celle que nous avons actuellement ; en d’autres termes, que la transaction proposée nous sera bénéficiaire. Ici, il ne s’agit plus de peur, mais d’espoir. Et ces deux espaces incertains sont en réalité très signifiants pour nous.

Dans le cas des hommes, il s’agira surtout de mieux manifester ses essences tandis que dans le cas des femmes, il s’agira de mieux assouvir ses appétits. Cependant, en fonction des parcours de chacun, ce que l’on subodorera d’une transaction pourra être très différent. Certains y verront facilement un bénéfice tandis que d’autre y verront un grand risque.

Pour de nombreuses personnes à notre époque, le fait de mourir constitue une grande peur et un rejet assez spontané. Cela vient du fait que nous envisageons la mort comme une perte sèche sur notre balance transactionnelle. C’est en fait, pour nombre d’entre nous, la fin de notre balance et la fin des transactions, chose que très peu d’entre nous sommes prêts à accepter. Il existe cependant des personnes, dans différentes cultures et à différentes époques, qui perçoivent la mort physique comme une bonne nouvelle pour leur balance transactionnelle. C’est par exemple pour eux l’occasion de rencontrer Dieu ou de profiter de bienfaits dans l’au-delà.

Plus nous sommes identifiés à la matière et au court terme, plus nous allons nous focaliser sur des transactions matérielles rapides et positives en usant, si cela fonctionne dans notre contexte, du mensonge et du vol, c’est-à-dire en adoptant une attitude de tricheur, soit par la ruse, soit par la force. Plus nous sommes identifiés au cosmos et au long terme, plus nous allons nous focaliser sur des transactions immatérielles de longue vue en considérant des concepts comme la noblesse et le karma, c’est-à-dire en adoptant une attitude chevaleresque.

Les deux approches possèdent leurs avantages et leurs défauts, la première tend à provoquer des retours transactionnels négatifs à plus ou moins brève échéance (vengeance, tribunal, prison, représailles, charge karmique), la seconde tend à induire des choix transactionnels négatifs sur un laps de temps inconnu (abus divers de la part d’autrui). Comme le veulent les expressions consacrées : c’est « La fin justifie les moyens. » ou « La mort plutôt que la souillure. »

Par ailleurs, il arrive très souvent que nous ne rejetions ni ne soyons attirés par quelque chose, en cela c’est l’indifférence qui domine. Il peut aussi arriver que nous soyons autant attirés que repoussés par quelque chose. Généralement, cela fait naître chez nous un certain inconfort qui va nous inciter à prendre le temps de discerner ce qui semble le meilleur pour nous.

Il peut aussi arriver que nous ayons de l’attrait ou du rejet pour quelque chose mais qu’il s’avère que nous ne pouvons rien y faire : la transaction nous est inaccessible. Dans ce cas, il s’agit d’impuissance. Si nous n’en sommes pas au fait, c’est que notre interprétation est erronée, si nous en sommes au fait mais que nous continuons d’en éprouver attrait ou rejet, c’est certainement que nous y trouvons une raison. Désirer une personne qui nous est inaccessible est par exemple un bon moyen de rêver et d’atténuer quelque peu un sentiment de souffrance (solitude ou autre). De même, haïr une personne avec laquelle nous ne sommes pas en interaction peut être un moyen de témoigner une appartenance à un groupe (politique, par exemple). Les avantages ne sont pas toujours là où on le pense.

En définitive, c’est notre boussole interne qui va nous orienter vers les transactions qui nous semblent profitables, celles qui feront pencher la balance de notre côté et la justesse de cette boussole dépendra de la qualité de nos interprétations du monde.

Du reste, après cet article, vous devriez avoir toutes les clés pour comprendre les interactions des différents éléments de la réalité, soit des combinaisons de plénitude, de souffrance, d’indifférence, d’attrait et de rejet.